Le triste destin d'un perroquet
nourrit à la main...

«Au nom de Pascale»

par Marie-Thérèse Paillé

 

Je ne suis pas une scientifique. Je suis une autodidacte qui s’est laissé guider par sa passion pour les perroquets. C’est dans un langage simple que je vais partager avec vous les années que j’ai partagé avec eux, mes observations et ma conclusion qui en choquera certains.

Qui est Pascale ?

Pascale est un gris d’Afrique Congo qui a été abandonnée icien l'an 2000. Je ne sais pas quel âge elle avait exactement mais d’après la couleur de ses yeux, elle n’avait pas un an. Elle rassemblait à peu près toutes les tares que l’on retrouve principalement chez les perroquets nourris à la main, picage chronique sévère, automutilation de la peau, troubles psychologiques et émotionnels extrêmes, bref une petite boule de souffrance qui respirait et s’accrochait à moi comme la misère sur le pauvre monde. Probablement le cas le plus lourd que j’ai accueilli ici à ce jour. 

Sans l’aide du DR. Jean Gauvin de la clinique vétérinaire Lachine à Montréal, je ne sais pas si j’aurais pu réussir quoi que ce soit avec elle et je l’en remercie du fond du coeur. Nous avons appliqué plusieurs thérapies reconnues pour aider les perroquets dans sa condition mais rien n’y faisait, nous avions des résultats sur une courte période et c’était la rechute.

Pascale ayant peur d’à peu près tout, surtout des autres oiseaux, il lui arrivait de se lancer dans le vide à l’approche d’un congénère et de se blesser. Elle a donc dû avoir des sutures à quelques reprises. Le vétérinaire et moi étions résignés à ce qu’elle soit ainsi pour le reste de sa vie et personnellement, j’étais prête à la garder et à l’aimer malgré tout. 

Pascale a mis six ans avant d’arriver  à juste garder ses plumes et elle est encore loin d’être ce que j’appelle un oiseau équilibré. Elle est toujours très fragile. Il suffit d’un stress inattendu, d’une insécurité qui refait surface et je retrouve toutes ses plumes au fond de la cage. Et voilà, on reprend à la case un!

Je crois qu’en grande partie, les progrès de Pascale ont été motivés par Albertine, qui est aussi un gris d’Afrique d’une trentaine d’années. Elle a réussi à gagner la confiance de Pascale et elle l’a beaucoup  materné et protégée comme si c’était son bébé. Elle lui a donc au fil du temps enseigné qu’elle était un oiseau et la base qui va avec cette nouvelle identité. 

Je rêvais de la voir voler un jour mais les plumes de vol de son aile gauche ne poussaient pas. Horrible constatation quand je décidai d’examiner cette aile de plus près…cette aile a été éjointée. Quelle tristesse de constater que ces pratiques barbares se pratiquent encore de nos jours.

Pour ceux qui ne connaissent pas ce qu’est éjointer une aile, c’est qu’on coupe la dernière section de l’aile. Si vous comparez avec votre bras, c’est comme si on vous coupait la main. Et ceci est fait à froid, sans anesthésie et c’est juste dans le but d’empêcher l’oiseau de voler. En fait, j’ai deux oiseaux ici dans cette condition. Et j’en connais d’autres. 

Il faut vraiment ne pas être pressé, avoir un amour inconditionnel et une patience à toutes épreuves pour travailler avec ces oiseaux et aller jusqu’au bout. Au nom de toutes les ‘’Pascale’’ de ce monde, j’espère vraiment allumer la conscience des hommes face à cette merveille de la nature qu’est le perroquet. Leur apprendre à les respecter et à les aimer pour ce qu’ils sont et non pour ce que nous voudrions qu’ils soient.

L’imprégnation 

Il y a très longtemps, on se rendit compte qu’un poussin naissant s’identifiait au premier être qu’il voyait  en ouvrant les yeux. Ce qu’on appelle l’imprégnation. Les humains étant fascinés par la beauté, l’intelligence et la faculté qu’avaient les perroquets à imiter notre langage, se dirent qu’il serait merveilleux de les reproduire en captivité et que ce serait beaucoup plus simple que de les attraper en forêt. De plus, ils pourraient en tirer un bon prix et tout le monde serait content. 

Au début, on croyait que l’imprégnation humaine sur les oiseaux ne pouvait avoir que de bons cotés en ce qui concerne l’oiseau de compagnie plus spécifiquement, les perroquets. La nature humaine accepte mal de vivre avec des êtres qui ont des mœurs et un mode de pensée différent du leur.

Il fallait donc humaniser les perroquets pour pouvoir vivre avec eux sans avoir à faire d’efforts pour les apprivoiser. Ne serait-il pas merveilleux de pouvoir partager notre vie avec un animal qui peut apprendre notre langage, être drôle, affectueux, intelligent et avoir en plus une apparence exotique? 

Alors, il y a environ un quart de siècle une nouvelle mode a pris son envol dans le monde aviaire. Une  pratique qui consiste à enlever les oisillons de leurs parents vers l’âge de vingt et un jours pour les nourrir à la main. Les nourrir soi-même avec une pâtée commerciale chaude que l’on administre au bébé à l’aide d’une seringue à toutes les deux heures au début, puis aux quatre heures et ainsi de suite. On s’assurait ainsi des oiseaux dociles et sociables avec les humains sans avoir à faire trop de travail pour gagner leur amour et leur confiance. Pas besoin de l’apprivoiser.

De plus, on a vite remarqué qu’en retirant les bébés du nid, on provoquait une autre ponte chez les parents. Alors plus d’oiseaux à vendre, donc plus de profits en bout de ligne. 

J’ai moi-même pratiqué cette technique du temps ou j’ai fait de la reproduction. Car quand j’ai commencé, j’écoutais et croyais ce qui se disait dans le milieu. Par contre, il y a une vingtaine d’années, on ne sortait pas les bébés avant  vingt et un  jours de vie, toutes espèces confondues. De nos jours, les oisillons sont retirés de leurs parents de plus en plus jeunes et les séquelles n’en sont que plus profondes.  

Étant donné que ma curiosité et mon amour pour les oiseaux étaient plus forts que tout, je me devais de faire mes propres expériences et observations. J’en ai passé des nuits, cachée dans un coin de la volière à observer et à écouter ce qui se passait dans leur petit monde. Ayant la chance d’avoir quelques couples qui me faisaient confiance et me laissaient à l’occasion les regarder faire leur boulot directement dans leur nid, j’ai vite réalisé que nous faisions tout de travers.

Je ne crois pas qu’un humain, même avec la meilleure volonté du monde puisse faire le travail de papa et maman perroquet aussi bien qu’eux. Mes observations m’ont appris que les parents perroquets s’occupent de leur progéniture vingt quatre heures par jour. C’est très touchant de voir toute l’affection et l’amour qu’ils y mettent.

Ils passent leur temps à les dorloter, les réchauffer, leur donner la becquée, les caresser à tour de rôle et ce jour et nuit. Il faut plusieurs semaines avant que les deux parents sortent du nid en même temps et ce pour une très courte période. Les bébés ne sont jamais seuls et sont nourris beaucoup plus fréquemment que la croyance populaire nous enseigne. 

Tantôt c’est maman, tantôt c’est papa. Le travail est partagé entre eux de façon équitable. En général, maman est au nid plus que papa mais il n’a pas moins d’ouvrage pour autant. Il doit venir la nourrir régulièrement pour qu’elle et  ses petits ne manquent de rien, Il doit aussi venir  la relayer afin qu’elle puisse aller se dégourdir les pattes, prendre un bon bain et manger un peu de nourriture fraîche. De la soupe c’est bon mais…Il doit aussi monter la garde et empêcher les intrus de s’approcher de sa fragile et précieuse famille. Protection est le mot d’ordre ! 

Il fallait que des années se passent pour commencer à réaliser les effets dévastateurs qu’a cette pratique.

Rares sont ceux qui vont se lever à intervalle régulier  la nuit pour nourrir les oisillons et surtout prendre le temps de leur donner de l’affection et les rendormir en les caressant. On lui remplit le jabot d’un trait, le replace dans son aquarium et on ne le revoit que pour le prochain gavage. Les bébés ont besoin d’une présence constante et constante veut dire ici 24/24.

Avez-vous pensé aux pauvres bébés de trois ou quatre semaines qui sont laissés seuls entre dix huit heures le soir et  neuf ou dix heures le matin qui sont les heures de fermeture des animaleries? Ces pauvres petits ont faim et vivent une insécurité et un stress épouvantable. C’est sans compter les anticorps et les enzymes que les parents leur transmettent par ce que j’appelle le lait de jabot pour développer et renforcir leur système immunitaire. Nous savons tous  que c’est la meilleure protection que nous puissions leur offrir pour leur santé et ce pour le reste de leur vie. N’y a-t-il pas ici quelque chose de contradictoire dans cette pratique ? 

Selon les observations de Mark Bittner, auteur du livre  “ The wild parrots of telegraph hill” duquel a été tourné le documentaire du même titre. Les jeunes conures à tête rouge étaient sous la tutelle de leurs parents pour près d’un an dans la nature (le temps varie selon les espèces). Entre nos mains, ils sont forcés à devenir autonomes dès l’âge de trois ou quatre mois. Pensez-y, laisseriez-vous votre enfant partir en appartement à l’âge de cinq ans ?

Depuis 1995 j'accueille des perroquets abandonnés et ce que j’ai vu à ce jour, m’en dit long sur nos erreurs. Il m’a fallut de longues années de persévérance, d’observation, d’indulgence pour arriver à des résultats avec certains cas. 

Non! Nous ne pouvons pas faire un aussi bon travail que celui qui est depuis toujours dicté par la nature. Pour la simple et bonne raison que nous ne sommes pas des oiseaux. 

Je vois et entend des gens s’exclamer et crier au crime à la vue d’un documentaire ou l’on voit des braconniers piller les nids de perroquets pour y voler les bébés. Vous avez raison et je condamne aussi très sévèrement ces pratiques, c’est criminel ! Mais le drame est que la même chose se produit dans nos élevages. Il n’y a pas beaucoup de différence à mes yeux. De quel droit arrachons nous ces pauvres bébés à leur mère ?

Il est faux de croire qu’un oiseau nourri à la main sera plus gentil et apprivoisé qu’un autre qui a été élevé par ses parents. Vous aurez cette illusion au début mais les années vous feront vite réaliser que ces oiseaux sont pour la plupart déséquilibrés. Premièrement, ils n’ont pas d’identité (à ne pas confondre avec la personnalité) ils sont trop imprégnés par l’humain et ne savent pas trop ce qu’ils sont, ni comment agir, comment vivre heureux. Leur frustration est immense. Ils s’identifient à l’humain mais n’ont aucun droit égal à ceux-ci. Ils n’arrivent pas à se faire comprendre. 

Pas surprenant que nous soyons confrontés à autant de troubles du comportement à plus ou moins longue échéance. Le picage chronique*, l’automutilation, une insécurité maladive que l’on appelle aussi anxiété, qui est une plaie  dans notre société et que nous leur transmettons par notre ignorance et notre manie de vouloir tout s’approprier et tout contrôler.

Il y a aussi ceux qui crient sans arrêt et qui vous rendent la vie impossible, ceux qui mordent sans raison et qui développent une agressivité maladive envers les humains sans que ceux-ci comprennent ce qui s’est passé ‘’il était pourtant si gentil’’.

L’imprégnation de l’humain sur tout animal a des effets très dévastateurs. Nous n’enlevons pas les bébés des chiens et des chats systématiquement sous prétexte de les rendre plus gentils. Alors pourquoi nous acharnons-nous sur ces pauvres oiseaux. Il y a parait-il les mêmes problèmes avec plusieurs animaux dans des jardins zoologiques qui pour une raison ou une autre ont été élevés par des humains. Ça met la plupart du temps plusieurs années à se manifester mais… 

Nous aurions intérêt à laisser la nature faire ce qu’elle a à faire et que chacun y joue son rôle respectif. C’est certain que si le couple reproducteur ne s’occupe pas de ses bébés (ce qui arrive parfois en captivité et je les comprends) l’intervention humaine est peut-être de mise dans le but de sauver ces petites vies. Mais à mon avis, nous aurions tous intérêt à laisser les bébés avec les parents au moins jusqu’à ce qu’ils sortent du nid d’eux même.  Puis là seulement, commencer à les apprivoiser et à les familiariser avec l’être humain. Nous aurions  je crois des compagnons beaucoup plus équilibrés et solides avec une certaine autonomie affective qui est malheureusement plutôt rare de nos jours. Le travail de l’éleveur serait reporté et en serait un d’apprivoisement plutôt que de maternage. 

Comme pour tout commerce, c’est la demande qui prime et l’offre suit. Pour l’instant vu que la croyance est qu’un oiseau nourrit à la main est préférable, ces oiseaux sont vendus plus cher à cause de la demande et du travail que cela implique pour l’éleveur. 

Nous savons aussi que ce n’est pas tout le monde qui devrait choisir le perroquet comme animal de compagnie. Il a besoin de liberté donc c’est salissant, les fientes un peu partout à ramasser tout le temps, ils jettent de la nourriture par terre car leur rôle dans la nature est beaucoup de réensemencer la forêt, ils sont destructeurs et grugeront vos meubles et tout ce qu’ils peuvent se mettre sous le bec, c’est pour eux un besoin viscéral, ils doivent user leur bec qui pousse sans arrêt. Il va donc sans dire que si vous êtes le genre de personne qui tient mordicus à ses babioles, à une maison impeccable et tenez à ce que votre animal accepte que vous vous en occupiez que lorsque bon vous semble ou quand vous en avez le temps, Oubliez le perroquet. C’est un être qui a un très grand besoin d’interaction et ce à tous les jours. 

Mais si par contre, à la lumière de tout ceci, vous êtes certain que le perroquet est l’animal pour vous et que vous êtes prêt à vous investir dans une telle relation, alors, VOUS seuls avez le pouvoir de changer les choses. En commençant par demander des oiseaux élevés par leurs parents. Au minimum, exigez un oiseau sevré, car certains  vous offriront un rabais substantiel si vous prenez l’oisillon pour le nourrir vous-même. REFUSEZ !  allez ailleurs. Rares sont les personnes qui ont le temps et les connaissances pour s’acquitter d’une telle tâche et ce n’est que plusieurs années plus tard que vous commencerez à voir les tors causés à votre compagnon. 

* manie de s’arracher les plumes. 

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